Vous le savez, je suis allé au Festival de photographie animalière de Montier-en-Der en novembre dernier. Pour le photographe, l’intérêt premier est de pouvoir admirer une quantité impressionnante de magnifiques photos nature.

J’y vais pour ça, évidemment. Mais je profite aussi d’avoir « sous la main » et en vrai, des photographes de talent. Des photographes que je ne pourrai pas faire venir chez moi pour une interview de 15 minutes ! 🙂

Cette année, le photographe de nature et de sport Stanley Leroux était présent. Une chance. Je l’avais rencontré quelques semaines auparavant au Salon de la photo à Paris (où j’avais aussi découvert Joe Bunni). J’avais adoré la conférence de Stanley en duo avec Kyriakos Kaziras au stand Canon. J’en ai du coup profité pour lui demander de se caler une interview vérité photo à Montier. Ce qu’il a accepté bien entendu !

Et voilà le résultat ! Un gros paquet de bons conseils. Inspirez, regardez, et … notez ! 🙂

L’invité

Stanley Leroux par Pascal Haudiquert - Tous droits réservés.

Stanley Leroux par Pascal Haudiquert – Tous droits réservés.

Stanley Leroux est photographe professionnel. Il a la particularité d’être une espèce de saisonnier de la photo ! Oui, c’est possible. 🙂 Voyez un peu : le printemps et l’été il photographie les sports mécaniques. Et en hiver, il parcourt les plus beaux coins de la planète pour des reportages nature.

Dans le monde du sport, Stanley suit le championnat du monde de motocross depuis 12 ans. Il a acquis dans ce milieu un véritable statut de grand photographe. Il est très demandé car ses photos sortent vraiment du lot. Sa marque de fabrique, sa signature artistique, est qu’il travaille beaucoup au grand angle. Ses images de motos et de sportifs sont publiées dans le monde entier.

En hiver, changement de décor et d’ambiance ! Vous l’avez compris, Stanley Leroux est un photographe qui ne reste pas beaucoup en place. Couvrir des Grands Prix de motocross fait beaucoup voyager. Photographier les animaux extraordinaires aussi !

La patte de photographe si particulière de Stanley se retrouve dans ses photos nature. Constamment à la recherche de la plus belle lumière, ses images sont très intenses. Presque dramatiques pour certaines ! En tout cas, elles ne laissent pas indifférentes.

Sachez enfin que tout son travail, qu’il soit en sport ou en nature, a reçu les plus grandes récompenses. Il a par exemple été nommé au concours BBC Wildlife Photographer of The Year. Le fameux.

Au sommaire de cette interview du photographe Stanley Leroux

Voici ce que vous apprendrez dans cette interview photo :

  • où Stanley puise son inspiration
  • pourquoi vous avez intérêt à pratiquer plusieurs types de photographies
  • comment éduquer votre oeil de photographe
  • en quoi le cinéma peut vous apporter beaucoup
  • qu’est ce qu’une bonne photo selon Stanley
  • comment s’y prendre pour faire d’une scène ordinaire une photo extraordinaire
  • l’astuce de Stanley pour immerger le spectateur dans la photo
  • quel est le truc que doit absolument posséder une photo
  • le making-off de deux de ses photos.

Repères cités dans cet épisode

Un (petit) aperçu de ses photos

Toutes les photos ci-dessous sont la propriété de Stanley Leroux

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Transcription texte de l’interview

Lorsqu’on attend, lorsqu’on est patient, lorsqu’on écoute un petit peu, je dis souvent que la lumière il faut la voir mais aussi l’écouter, elle change beaucoup et on ne fait pas sa photo comme ça du premier coup. Stanley Leroux

Régis Moscardini : Bonjour Stanley.

Stanley Leroux : Bonjour Régis.

Régis : Avant de parler de photo animalière et de photo nature, je voudrais qu’on revienne un peu, pas ton passé, mais sur ton activité de photographe de sport, notamment sur les motos. Est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus, s’il te plait ?

Stanley : C’est vrai que ce n’est pas mon passé, c’est vraiment mon présent. J’arrive à jongler entre deux activités photographiques. A savoir que pendant le printemps et l’été, je vais faire des photos de sport, je suis un sport qui est le Championnat du Monde de motocross. C’est un championnat qui voyage à travers une vingtaine de pays par an.

Je vais suivre tous ces événements-là au cours de l’année. Pendant l’intersaison sportive, pendant l’automne et l’hiver, je profite du fait d’avoir plus de temps libre pour aller un peu taquiner la nature sauvage dans ses recoins les plus fous.

Régis : Tu publies où tes photos de sport en fait ? C’est L’Equipe qui te les achète par exemple ? Tu les vends dans des livres ? Comment tu fais ?

Stanley : L’Equipe ne publie pour ainsi dire pas de photos de motocross. C’est un sport trop petit. Néanmoins c’est un sport qui a une base extrêmement importante de passionnés, une niche très importante. Du coup, il y a beaucoup de magazines autour de ce sport, beaucoup de marques.

Donc  je ne pourrais pas te dire précisément tous les endroits où sont diffusées mes photos chaque mois, parce qu’elles sont diffusées dans des magazines un peu partout à travers le monde, en Angleterre, en Australie, en France, aux Etats-Unis. Ça fait vraiment partie intégrante de mon métier de photographe sportif que mes photos paraissent un peu partout.

Régis : J’ai vu tes photos de motos, elles sont vraiment géniales avec des angles et des points de vue très originaux. Comment tu as cette idée-là de prendre au grand angle ? C’est l’inspiration, c’est quoi ?

Stanley : Pour tout te dire, ces idées-là je les ai ici principalement, quand je viens à Montier-en-Der, quand je viens dans des festivals de photos de nature. C’est intéressant quand on a une pratique de photo de la confronter à d’autres domaines photographiques et d’aller puiser ses idées dans d’autres domaines photographiques parce que c’est ça qui permet de se renouveler, de se remettre en question.

Si un photographe de nature ne va regarder que des photographies de nature ou qu’un photographe de sport ne va regarder que des photographies de sport, il va faire de l’entre-soi et il aura du mal à se renouveler et à évoluer. Du coup j’aime bien confronter ces deux mondes-là, justement parce qu’ils sont aux antipodes et qu’ils n’ont rien à voir photographiquement.

C’est en côtoyant ce monde-là, d’abord en spectateur et maintenant en photographe exposant, que j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de choses à faire. Jouer avec la lumière, jouer avec les cadrages. Parce qu’effectivement c’est quelque chose qui, sinon, ne se faisait pas trop lorsque je suis entré dans la photo sportive, dans ce sport-là.

Régis : Est-ce que l’inverse est vrai ? Est-ce que tu vas aussi piocher des astuces que tu peux avoir dans la technique de photos de sport pour aller l’appliquer sur la photo d’animaux sauvages ?

Stanley : L’inverse est tout à fait vrai. Certes je prends au grand angle des photos de sport mais j’en fais aussi en photo nature et au final on se rend compte que c’est une pratique qui est relativement marginale. Dans ma dernière exposition, il y a plus d’une photo sur deux qui a été prise avec un grand angle.

C’est quelque chose aussi que j’ai cultivé dans ma photo de sport et que j’apprends à mettre en pratique dans la nature. Dans la photo nature, on a un peu une espèce d’archétype que j’ai pratiqué mais j’essaie de sortir de ça, qui est le gros plan avec au premier plan l’animal très net et en arrière-plan un fond bien flou. Justement c’est tout ce que j’essaie de ne pas faire aujourd’hui.

J’essaie de montrer l’animal dans son environnement. Ma photo de sport m’a aidé à ça. Vraiment les deux se nourrissent assez bien.

Régis : Donc ça veut dire que ceux qui penseraient être en panne d’inspiration pourraient débloquer leur petite panne en allant chercher des idées ailleurs que dans la photo animalière, par exemple photo de concert, il y a tout un tas de domaines qu’on pourrait explorer pour aller chercher des idées pour soi ?

Stanley : Oui, tout à fait. Après, on peut se demander à quoi la photo de concert va pouvoir aider pour la photo animalière. Ça parait loin. Après, on va réaliser qu’en photo de concert, moi je ne pratique pas du tout, mais on apprend à gérer les très basses lumières. Peut-être qu’on peut réaliser qu’il y a des photos qu’on peut réaliser en très basses lumières dans la nature.

Je ne sais pas précisément. Mais pour moi, ça ne s’arrête même pas qu’à la photo, on peut puiser son inspiration du cinéma, de la peinture. C’est juste que sa vie au quotidien nous permette de nourrir un peu nos âmes et nos esprits. C’est ça qui va justement apporter une âme à la photo, que la photo ne soit pas juste un cliché technique mais qu’elle véhicule une émotion.

Juste être un amateur éclairé. Si je prends l’exemple de moi avec le cinéma, je ne suis pas cinéaste, je ne pratique pas du tout cet art-là, néanmoins j’observe beaucoup de belles lumières dans un certain nombre de productions cinématographiques actuelles, j’observe comment le cinéaste joue avec la lumière, ça me donne des idées des fois pour mes photographies. Des fois juste avoir un œil ouvert, ne pas juste regarder mais vraiment voir.

Régis : Il ne faut pas être trop focus sur la photo animalière sinon on s’enferme dans un carcan et on oublie de se nourrir du reste. Est-ce que tu penses qu’il y a des tendances, un peu comme la mode en vêtements, il y a des tendances dans la photo ? Pour la lumière, tu parlais du cinéma ? Est-ce que tu sens qu’en ce moment comme dans le cinéma c’est un peu plus comme ça ou comme ça ?

Stanley : Il y a forcément des tendances en photo animalière, notamment parce que c’est un milieu qui est extrêmement compétitif avec beaucoup de concours. Beaucoup de la carrière d’un photographe animalier passe par les concours. Par contre ce n’est pas moi qui vais te renseigner, vous renseigner vous tous, sur ce qu’il faut faire dans les 2 ans à venir, même ce qu’il faut faire aujourd’hui parce que je n’ai jamais gagné un concours de ma vie.

Les tendances elles existent mais je ne les connais pas parce que je fonctionne juste avec mon cœur et mon cœur m’amène à faire des photos qui me parlent, qui créent de l’émotion mais qui ne sont pas forcément les photos qui sont dans les tendances actuelles. Mais pour moi, une bonne photo n’est pas forcément une photo qui est tendance. Une bonne photo est une photo qui va traverser l’épreuve du temps avec brio. Ça, il n’y a que l’avenir qui peut nous le dire.

Régis : On va revenir à des choses plus terre à terre, plus techniques. Le matériel que tu utilises pour la photographie de sport, est-ce que c’est le même que tu utilises pour la photographie animalière ?

Stanley : Globalement j’ai presque le même matériel. Les optiques vont être à peu près les mêmes. Il n’y a que le boitier qui change. Pour mes photos nature j’utilise le Canon 5D Mark III parce que j’ai une recherche de qualité d’images la plus superlative possible et je n’ai pas de besoin pour les photos que je réalise d’un autofocus qui soit le plus rapide de sa catégorie.

Régis : Tu fais des photos pour l’animalier qui ne te demandent pas d’avoir un autofocus très rapide ?

Stanley : Voilà. Il y a beaucoup de photographes qui vont en avoir besoin. Moi, par rapport à ce que je cherche à créer, je n’ai pas besoin de ça. Il ne se passe, pour ainsi dire, rien sur mes photos. Je vais plus véhiculer une atmosphère qu’une action trépidante. Par contre en photo de sport, là je vais avoir besoin d’une rafale bien plus importante.

Régis : Tu aurais presque pu en animalier faire de l’argentique finalement parce que tu prends ton temps pour la photo, il y a une vraie recherche. Tu t’installes, tu patientes. Donc pour toi l’argentique ça aurait été possible ?

Stanley : Ça aurait été possible. Je sais que c’est un peu de retour à la mode et tout. Maintenant il faut être honnête, je pense que le numérique m’apporte beaucoup. Je n’arriverais pas à aller aussi loin en argentique pour la simple et bonne raison que je me sers énormément de pouvoir observer mes photos en cours de prise de vue pour pouvoir améliorer les réglages, pour pouvoir changer les cadrages.

Pour moi c’est un travail vraiment en continu. C’est important pour moi de pouvoir avoir ce retour visuel. Je suis très rarement satisfait de moi du premier coup. Souvent j’ai besoin de beaucoup tâtonner, chercher sur le terrain le bon endroit, les bons réglages. En argentique il y a surement des choses que je raterais. Sincèrement.

Régis : On va faire le making off d’une photo. Si tu veux bien en choisir une ?

Stanley : Bien sûr. La première photo, c’est une photo qui me parle beaucoup. Parce qu’elle représente tout ce que j’essaie de véhiculer à travers une image, à savoir ne pas retranscrire une scène extraordinaire. Pour moi, cette scène elle est éminemment ordinaire. Ce sont juste des cormorans qui logent au bord d’une falaise et on a un goéland qui va passer devant l’objectif, pile poil au bon moment. Maintenant c’est une scène de vie très classique.

J’ai juste observé la lumière, j’ai juste passé des heures à marcher au bord de l’ile, au bord des falaises pour trouver le bon décor. C’est beaucoup de recherches en amont pour réunir toutes les pièces du puzzle, pour réaliser cette photo-là. Lorsque la lumière a été celle que je voulais, à savoir une lumière éminemment dramatique, j’ai pu donner vie à la photo. La lumière était vraiment comme ça.

Il n’y a même pas eu besoin de régler l’appareil spécifiquement, il y a zéro post-traitement sur cette photo-là parce que c’est possible lorsqu’on est dans des lieux qui ont des lumières aussi incroyables, lorsqu’on attend, lorsqu’on est patient, lorsqu’on écoute un petit peu, je dis souvent que la lumière il faut la voir mais aussi l’écouter, elle change beaucoup. On ne fait pas sa photo comme ça du premier coup.

Régis : La scène, tu dis qu’elle est ordinaire mais tout le travail en amont, tout le processus de création, il n’est pas ordinaire. C’est un vrai travail de création que tu as fait en plusieurs heures, en plusieurs jours. Celle-ci je l’ai vue en grand, sur un grand écran, elle est simplement magnifique, elle est vraiment très belle.

Stanley : Cette image, là encore c’est une scène extrêmement banale. Un gorfou sauteur qui se place sur un rocher, qui émet cette position caractéristique, ça caractérise vraiment cette espèce-là. Ils sont très mobiles, ils sont également très curieux, c’est-à-dire que c’est souvent eux qui vont vous approcher. Là je suis à l’extérieur d’une colonie, je ne rentre jamais à l’intérieur de la colonie, parce que sinon je vais déranger l’animal.

Ça a été un travail d’approche très minutieux, très long parce qu’on n’approche pas aussi facilement que ça les animaux. C’est possible de les approcher. C’est plus facile d’approcher un manchot qu’un ours blanc ou qu’un lion ou qu’une antilope mais malgré tout il faut s’y prendre avec beaucoup de patience, il faut s’allonger au niveau de l’animal pour pouvoir le mettre en confiance. C’est un animal qui fait 30 centimètres de haut, on ne s’en rend pas forcément compte sur la photo.

Moi je voulais une photo qui soit prise au grand angle et qui mette en avant le décor de l’animal, et surtout qui mette en avant le décor et les lumières dans lesquels ils évoluent. Il y avait une lumière un peu cinématographique justement, pour reprendre la référence de tout à l’heure, sur cette image. Il n’y avait pas un beau soleil, ce n’est pas un jour où il faisait un très beau temps. Mais il y avait une lumière qui pour moi était puissante et j’ai voulu jouer avec.

Pour ça, ça passe par l’usage du grand angle. J’ai également un coup de flash sur cette photo pour éclairer mon sujet au premier plan. Le flash, j’utilise toujours un diffuseur dessus, ça va vraiment me permettre d’avoir une lumière très douce et surtout de ne pas gêner l’animal. D’ailleurs on voit que le gorfou sur la photo garde les yeux ouverts.

C’est pour moi une part importante de la photo qu’il ait l’œil ouvert. Sinon la part la plus importante de la photo c’est juste un instant où il y a ce regard qui se croise entre le photographe et l’animal. C’est tout ce qu’un photographe animalier peut avoir envie de faire.

Régis : Il y a deux sujets dans tes photos. Il y a évidemment le sujet animal, là il est clairement ici au premier plan, c’est lui qui prend une grosse partie de l’image. Il y a aussi la lumière, la lumière et l’ambiance. On pourrait presque dire que c’est un deuxième sujet dans tes images ?

Stanley : En tout cas, c’est vraiment ce que j’essaie de véhiculer à travers les images. Si on fait des images où il ne se passe rien de spécial et qu’en plus de ça il n’y a pas quelque chose qui va trancher avec la composition, avec la lumière, c’est sûr qu’on aura du mal à faire vivre les images. Moi, ça passe par ça. J’essaie de retranscrire une atmosphère à travers mes images.

Pour moi, l’image est réussie si jamais la personne qui la voit ressent quelque chose et comprend un peu l’ambiance dans laquelle j’ai envie de la plonger.

Régis : Là, c’est réussi. Une dernière question, Stanley s’il te plait. Quel serait ton rêve en photographie animalière ? Qu’est-ce qui ferait qu’un jour tu fais ça et c’est bon, tu pourrais arrêter la photo tellement tu as réussi ce que tu voulais faire ? Quel serait ton rêve ?

Stanley : Tu me prends de court. Sincèrement je n’ai pas de rêve à proprement parler. Je n’ai pas de quête de graal comme ça. Je trouve ça bienheureux parce que je me dis, si tu avais réalisé cette quête-là, après tu n’aurais plus besoin de réaliser de photos. Mais justement pour moi, c’est ça qui fait la beauté de ce qu’on fait quand on est photographe de nature, c’est que des rêves je n’en ai pas qu’un seul.

À chaque instant, j’en ai une dizaine de rêves que j’ai envie de réaliser, une dizaine de lieux, d’espèces que j’ai envie d’aller voir. Pour moi, c’est ça qui nous maintient créatifs.

Régis : Pour se procurer ce superbe coffret portfolio, où est-ce qu’on peut l’avoir ? Tu as un site j’imagine. Où est-ce qu’on peut le trouver ?

Stanley : J’ai un site : stanleyleroux.com. A partir de ce site il y a un lien vers une boutique où il est possible de le commander. Après, c’est un produit qui est vendu lors de mes expositions, que vous retrouverez lors de mes prochaines expositions dans quelques mois.