L’invitée

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Pour ce 37 ème épisode j’ai le plaisir d’accueillir Lorraine Bennery, photographe spécialisée en macro,  mais aussi en un peu tout. 🙂

Lorraine Bennery est photographe professionnelle et formatrice photo. Elle est autant connue pour avoir exposé dans des festivals prestigieux comme Montier-en-Der ou Ménigoute, que pour ses stages de photographie qu’elle organise dans toute la France. Oui, vous avez bien lu, elle se déplace dans de nombreuses régions magnifiques : massif des Maures, le sud de l’Aveyron, la Drôme provençale. Et bien d’autres encore.

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Elle maîtrise tous les univers de la photo animalière, que ce soit la grande faune, la macro, ou encore les paysages. Mais c’est sur ses compétences en macrophotographie que je lui ai posé mes nombreuses questions. En effet, elle a sorti en septembre 2015 son dernier livre : Kama-Sutra des petites bêtes.

Au sommaire de ce 37ème épisode de « Interview de Photographes Nature »

Voici ce que vous apprendrez dans ce podcast avec la photographe Lorraine Bennery :

  • Une courte biographie de Lorraine
  • L’origine de sa passion pour la photo macro
  • L’avantage de posséder de fortes connaissances naturalistes
  • Son astuce pour compenser un déficit en connaissances naturalistes
  • Pourquoi Lorraine est touche à tout en photo animalière
  • Pourquoi ses photos n’ont pas le potentiel des concours
  • Quel matériel photo elle utilise sur le terrain
  • Pourquoi privilégier les optiques aux boitiers
  • Comment Lorraine fait pour choisir son boitier photo
  • Sa méthode pour utiliser son 500 f/4 à main levée
  • Son livre « le Kamasutra des petites bêtes« 
  • Ses techniques pour photographier les petites bêtes
  • Une superbe anecdote sur une photographie de martin pêcheur
  • Sa gestion de la profondeur de champ
  • Les stages photo que Lorraine propose

Repères cités dans cet épisode

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Toutes les photos ci-dessous sont de Lorraine Bennery

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Transcription texte de l’interview

Régis Moscardini : Bonjour Lorraine.

Lorraine Bennery : Bonjour Régis.

Régis : Ça fait un moment qu’on essaie de faire cette interview. Nos emplois du temps respectifs nous en ont empêchés. Mais on est enfin de chaque côté du micro.

Lorraine : Voilà. J’en profite pour te féliciter pour ton blog parce que j’ai regardé un petit peu. Je le connaissais de loin. Je trouve ça très intéressant. Il y a plein de belles choses.

Régis : C’est gentil. Merci. Est-ce que tu peux, Lorraine, s’il te plait te présenter en quelques mots, toi et aussi ton parcours photo ?

Lorraine : En quelques mots, je ne sais pas si je vais y arriver parce que je suis très bavarde. J’ai souvent mes stagiaires qui me le disent d’ailleurs. Je suis naturaliste avant d’être photographe, bien que maintenant les deux se mélangent pas mal. J’ai fait une formation initiale, un BTS de gestion et de protection de la nature.

Ça m’a donné beaucoup d’envies au niveau de la photo. C’est vraiment depuis mon BTS que la photo est arrivée, d’abord comme un outil. J’avais des besoins de faire des herbiers. Je me suis dit pourquoi pas. J’ai cueilli des plantes et je les ai séchées. Quand on m’a dit de faire la même chose sur les insectes, je me suis dit « pas question ».

C’est un peu le départ de la photo où je me suis dit que j’allais faire une collection d’insectes en photo. Depuis toute gamine, la nature m’appelle. Quand j’étais dans la cour de récréation en petite section et qu’on jouait au téléphone arabe, ma phrase fétiche c’était de dire que le juglans nigra était le nom latin du noyer noir d’Amérique. Ça faisait pouffer de rire tous les copains, j’adorais ça.

Régis : A la fin ça finissait comment quand ça avait fait le tour de la classe ? Tu t’en rappelles ?

Lorraine : Ça ne faisait pas le tour. La première se tournait vers moi en disant « le QUOI ? » C’était assez exceptionnel. J’en ai des souvenirs intenses. Mes copains peut-être moins.

Régis : Effectivement. Les maitres et les maitresses qui ont dû te croiser doivent s’en rappeler.

Lorraine : C’est possible.

Régis : Tu viens de le dire, grâce à ta formation scolaire et universitaire et les différents jobs  que tu as pu faire dans ton activité professionnelle avant d’être photographe professionnelle, tu as acquis une bonne culture générale naturaliste. Est-ce que ça t’aide pour la pratique de la photo ?

Lorraine : Oui, c’est une grande force. Pour moi, c’est même la principale force. Autant la pratique photographique, ça s’apprend. Tu le prouves bien d’ailleurs avec les différents modules que tu proposes.

Il y a beaucoup de choses qui s’apprennent sur le tas, sur les réglages, etc.
Maintenant savoir comment trouver la nature, où la trouver, sentir quand on dérange, sentir si on peut ou pas s’approcher, pour moi c’est vraiment une très grande force pour la réalisation d’images de nature.

Régis : Je vais poser la question autrement. Est-ce qu’avoir un bagage naturaliste comme tu as et comme beaucoup d’autres photographes aussi ont, est-ce que c’est une condition nécessaire pour faire de belles photos nature ? J’insiste bien sur le mot « belles ».

Lorraine : Nécessaire, peut-être pas. Si tu as un super bon réseau avec des potes qui, eux, sont naturalistes et très efficaces sur le terrain, il y a certaines personnes qui peuvent fonctionner comme ça.

On leur dit « j’ai trouvé un nid de pics épeiches, tu peux venir le photographier ». Ou il y a aussi la possibilité de s’inscrire à des voyages organisés par d’autres et qui nous mettent dans des conditions idéales pour faire de super belles photos nature. Ça c’est aussi possible sans connaissance.

Régis : Ce serait un petit peu le côté, j’externalise une compétence que je n’ai pas avec un réseau, avec des connaissances pour pouvoir m’apporter ce que je n’ai pas pu apprendre avant ?

Lorraine : Tout à fait. Ou pour pouvoir pallier le manque de temps. Parce qu’on le sait tous, chaque personne qui pratique la photo nature sait qu’il faut beaucoup de temps, surtout pour de l’animalier pour trouver les bons spots, les bonnes ambiances, quelque chose qui va permettre de faire de belles images.

Des fois c’est un manque de compétence, des fois c’est un manque de temps qui peuvent être palliés par ce type de fonctionnement. C’est aussi pour ça que les stages, les voyages se développent de plus en plus.

Régis : Tu as déjà un peu répondu à la question que je vais poser maintenant. Tu as dit qu’on pouvait pallier le manque de compétence naturaliste par des amis, des réseaux qui peuvent nous aider dans ce cadre-là.

Est-ce qu’il y a d’autres moyens d’acquérir une culture naturaliste ? On ne va peut-être pas retourner à la fac, retourner à l’école. Mais est-ce qu’il y a d’autres moyens de pouvoir se constituer une bonne base de connaissances dans ce milieu-là, dans ce cadre-là ?

Lorraine : Oui, il n’est jamais trop tard. La pratique la plus simple c’est d’aller sur le terrain, observer, regarder, écouter, sentir et mettre tous nos sens en alerte, quand on est en extérieur, voir les cheminements, les passages.

Je suis encore en train de redécouvrir un nouveau territoire puisque j’ai déménagé depuis peu. J’étais sur le terrain hier, j’ai limite pas sorti le boitier, juste avec les jumelles et m’asseoir de temps en temps, observer et écouter. C’est un apprentissage de tous les jours.

Régis : Lorraine, quand on parcourt ton site Internet, tes galeries photos et aussi les livres que tu as pu publier par le passé, j’ai remarqué que tu n’étais pas du tout enfermée dans une seule catégorie de photos.

Tu fais de la macro de petites bêtes, des plantes des fleurs, des paysages, des oiseaux, des mammifères, des grands, des petits mammifères. Est-ce que c’est une vraie volonté de ta part ou c’est juste que tu ne sais pas vraiment te fixer sur un univers photographique ?

Lorraine : C’est certain que c’est une volonté de ma part. Ce que j’aime par-dessus tout dans la nature, c’est sa diversité. Je ne vois pas pourquoi je me restreindrais à rentrer dans une seule catégorie si je peux en survoler voire en approfondir plusieurs. C’est vraiment ce que je veux mettre en place. Je suis souvent mis dans la case macrophoto parce que, on en parlera, c’est vrai que j’en fais beaucoup.

Tout le côté pédagogique, je le fais autour de la macrophotographie. Mais dans ma pratique je m’éclate et je me fais plaisir à photographier une simple mouche comme un sublime balbuzard pêcheur en train de sortir son poisson de la Loire. J’adore tout faire et je ne veux pas me restreindre.

Régis : J’aurais un petit peu  tendance à penser que ce serait presque un défaut, c’est peut-être un peu le côté marketing de la photo qui ressort, mais ce serait presque un défaut de toucher à tout comme tu le fais parce que le public aime bien mettre une étiquette sur un photographe.

Munier, c’est blanc et froid. Philippe Moës, forêt et serre. Teddy Bracard, c’est renard. Finalement Lorraine Bennery, tu l’as dit il y a la macro mais on ne sait pas trop.  Est-ce que ça peut être un défaut sur le côté business de ton activité de photographe ?

Lorraine : Pas vraiment. Déjà on peut dire que Vincent est parti en safari photo au Kenya dans les infrastructures de Tony Crocetta, ce n’est pas vraiment les pôles, ça.

Il a fait d’excellentes photos. Teddy, est-ce que dans 15 ans il pourra continuer à faire son activité uniquement sur le renard, je ne sais pas. Des cases, c’est bien. Moi, j’aime bien l’ouverture. Je ne trouve pas que ce soit un défaut de s’ouvrir à l’ensemble de ce qui peut se présenter.

Sur le côté touche-à-tout, la seule contrainte que je vois, c’est qu’il est très difficile de sortir des photos de concours, vu le niveau des concours actuels. Je m’explique. Très souvent, je mets en place des affûts dans le projet d’un livre. J’avance sur la thématique, sur le sujet.

Lorsque je fais 3-4-5 photos bouquinisables, c’est-à-dire qui vont plaire au grand public, je laisse tomber l’affût pour passer à un autre sujet, pour avoir de la diversité. C’est souvent ce que je fais dans les livres.

Le problème, c’est que je sais très bien que pour avoir une photo de concours qui puisse exploser et ressortir, vu le niveau actuel, il faudrait que je reste une semaine, deux semaines, même trois semaines, quatre semaines. J’ai fait tout le travail d’amont, je fais quelques photos et je m’en vais, je vais faire autre chose.

Régis : Je comprends complètement ton point de vue. Je ne sais pas si on peut utiliser le mot « se lasser » parce que je pense que tu ne serais pas le genre de personnes à se lasser d’observer la même espèce dans ton affût, mais en tout cas tu as envie de passer à autre chose pour aussi assouvir une passion qui est très générale sur la nature.

Lorraine : Tout à fait. C’est sûr que je ne me lasse pas. Un mois sur le même sujet, ça me fait tout autant plaisir. Je dirais même que ça me ferait encore plus plaisir d’avoir le temps de passer un mois sur le même sujet.

Mais tel que j’ai développé mon activité de photographe nature, je ne trouve pas le temps de passer un mois sur le même sujet. Du coup je saute d’un sujet à l’autre pour avoir beaucoup de choses à présenter dans ma photothèque mais passer beaucoup moins de temps avec chacun.

Régis : C’est intéressant comme méthode parce que je suis sûr que ceux qui nous écoutent doivent aussi se demander parfois comment font certains photographes pour sortir des photos fabuleuses dans des concours.

La réponse, tu l’as apportée. C’est-à-dire qu’ils y passent énormément de temps au détriment peut-être d’une universalité qu’eux non pas mais que d’autres comme toi ont. C’est une méthode comme une autre. C’est aussi une question de sensibilité. Certains aiment bien passer du temps et se perfectionner sur un point précis, d’autres moins.

On va parler un peu de ton matériel photo, Lorraine. Souvent les photographes préfèrent parler comme on vient de le faire, de nature ou de méthode de prise de vie plutôt que de matériel, mais n’empêche que ceux qui débutent aiment bien avoir des valeurs de référence sur ce qu’utilisent les photographes experts. Toi, qu’est-ce que tu utilises ?

Lorraine : Je vais fêter ce mois-ci les 10 ans de mon 500mm. Je me suis aperçue que ça faisait pile 10 ans que je l’avais acheté. Actuellement je travaille avec Canon, avec un 5D Mark III, donc un plein capteur qui est, depuis quelques mois, mon unique boitier. C’est un peu dangereux mais il y a de bons services après-vente sur ces marques-là.

Régis : Pourquoi tu dis dangereux Lorraine ? Dans quel sens ?

Lorraine : De n’avoir qu’un seul boitier. Quand je pars en voyage ou même en déplacement sur le territoire français, si on est parti pour une semaine et que le boitier nous plante au bout d’une journée, c’est un peu problématique. Donc j’aime bien en général avoir deux boitiers. Juste pour ce côté sécurisant de pouvoir rebasculer sur un autre s’il y en a un qui ne fonctionne pas.

Régis : Tu l’as dit, c’est vrai qu’en France les services après-vente des grandes marques sont assez efficaces mais par contre à l’étranger ça peut être très embêtant, effectivement.

Lorraine : Tout à fait. Evidemment le matériel c’est indispensable, un bon matériel. Tu le sais très bien et beaucoup de tes lecteurs le savent aussi, ça ne fait pas tout loin de là. En objectifs, j’ai un 500mm qui est un objectif que j’adore et que j’utilise très volontiers.

J’ai d’ailleurs entre guillemets une petite réputation avec ce 500mm parce que je l’utilise à main levée. Ça fait un peu hurler certains de mes collègues qui, eux, sont plus costauds que moi et qui sont obligés de sortir au minimum avec un monopod voire un trépied.

Moi je l’utilise à main levée. Evidemment pour la macro j’ai mon petit chouchou, mon 100mm macro, en l’occurrence le stabilisé. Mais j’ai beaucoup utilisé le non stabilisé. Je vais peut-être faire hurler Canon, j’en suis navrée, mais je ne vois pas tant de différences que ça entre les deux, tant qu’on est précis sur le réglage et sur l’utilisation qu’on peut en faire.

Régis : D’accord. Je reviens sur la petite boutade que tu as dite sur les 10 ans de ton 500mm, ce n’est pas une boutade, c’est un petit côté symbolique.

Je voulais insister là-dessus parce que, quand on achète un boitier, on sait qu’on va le garder 2, 3, 4 voire 5 ans maximum parce que ça change tellement vite et qu’on est tellement pressé de changer pour accorder son matériel à ce qui se fait de mieux actuellement.

Par contre ce n’est pas vrai pour les objectifs. Ton 500mm ça fait 10 ans que tu l’as, c’est un investissement et tu vas le garder certainement encore beaucoup d’années. Est-ce que tu peux insister là-dessus, sur le fait qu’il est très important d’avoir un bon objectif plutôt qu’un très bon boitier ?

Lorraine : Je suis à 100% d’accord avec ça. Effectivement lorsque j’ai acheté mon matériel, en l’occurrence suite à un licenciement économique qui m’a fait m’installer en tant que photographe professionnelle, même si j’avais ça en tête depuis un moment, c’est ce qui m’a boostée entre guillemets en janvier 2007.

Je me suis dit « j’ai un petit pécule », j’ai pris un boitier somme toute assez bas de gamme et j’ai tout mis le pécule sur les objectifs en me disant « dès que je récupère un peu de sous, je prendrai un boitier plus efficace ».

C’est l’optique qui fait la photo beaucoup plus que le boitier. Le boitier va nous apporter le confort de la prise de vue, sur beaucoup de choses, il nous apporte des choses mais l’optique est indétrônable.

Régis : On est tous d’accord là-dessus. Tous les tests le montrent aussi mais la démarche que tu viens d’expliquer, à savoir que quand on a un peu d’argent de côté, on va plutôt mettre le paquet sur l’objectif et moins sur le reflex, on a tendance à faire l’inverse.

Ça c’est la faute du discours marketing des marques qui communiquent énormément sur les nouvelles fonctions des nouveaux reflex, et tout ça alors que sur les objectifs pas tant que ça. C’est un petit peu dommage mais c’est à nous de faire attention, d’être vigilants là-dessus.

Lorraine : Tout à fait. On se laisse trop influencer.

Régis : Est-ce que tu choisis un boitier en fonction de ta pratique photo, je veux dire par exemple est-ce que tu accordes beaucoup d’importance à la montée en iso ou tu préfères qu’il soit un tout-terrain ou à l’inverse ce qui t’importe c’est qu’il prenne des photos ? Comment tu choisis un boitier photo ?

Lorraine : Un peu comme on vient de le dire juste avant, en fonction de mon budget.

Régis : Aussi ?

Lorraine : J’exagère un  peu. Forcément un petit peu. Mais comme j’ai une pratique très large, plein capteur ou petit capteur n’est pas si important que ça. Je passe assez facilement de l’un à l’autre et je m’adapte au niveau du rendu image. Trouver des fonds plus lointains lorsque j’ai un petit capteur pour garder l’arrière-plan très sympa sur de la macro.

Ou m’approcher suffisamment de mes sujets avec des affûts encore plus efficaces quand je travaille avec un plein capteur sec entre guillemets, mon 500 sec sans multi, sans rien, sans coefficient multiplicateur du capteur.

Globalement le boitier que j’ai en main reste secondaire, ça c’est certain. Je pars de temps en temps en voyage, j’ai fait cinq voyages à Madagascar, le dernier en décembre, j’étais en forêt montagneuse tropicale, là j’étais contente de pouvoir monter sacrément dans les iso sans que ce soit tout crachouille.

Régis : La question que je vais te poser n’étais pas du tout prévue dans le fil de questions que j’ai là sous les yeux. C’est par rapport à ton 500mm que tu utilises à main levée. Pourquoi tu l’utilises à main levée et pas justement sur un monopod ou encore mieux sur un trépied ? C’est une question de liberté de mouvement ? C’est une question d’habitude ? C’est une question par rapport au sujet que tu veux photographier ? Comment tu l’expliques ?

Lorraine : Evidemment si je vais en affût fixe, je vais l’utiliser sur trépied, je ne vais pas rester 4 heures avec l’appareil posé sur les bras. C’est plus dans la liberté de mouvement. Tout ce qui est en déplacement, je trouve que le trépied nuit à la rapidité de l’exécution de l’image.

Lorsque j’ai un oiseau en vol que je n’avais pas prévu, ou un chevreuil qui part en courant, si je suis sur le trépied, je ne peux pas le suivre. A main levée, à bout de bras, très facilement je me mets en position de tir entre guillemets, j’ai remarqué que j’étais beaucoup plus réactive lorsque je l’avais à main levée.

Même le monopode ne me permet pas, quand je me déplace en forêt, que j’ai le 500 monté sur le boitier posé sur l’épaule, lorsque j’ai le trépied ou le monopod, j’avais une vitesse beaucoup plus lente.

Je joue souvent avec ça pour faire rigoler un petit peu, mais c’est très sérieux. J’ai la chance d’avoir une forte poitrine. Lorsque je regroupe les bras le long de mon corps, j’appuie fortement, j’ai l’œil qui tombe pile au milieu de l’œilleton de mon appareil.

Alors que vous, messieurs, lorsque vous refermez vos bras contre votre corps, vous êtes obligés de vous casser le coup pour mettre votre œil dans l’œilleton. Vous n’avez pas du tout la stabilité que je peux avoir lorsque je l’utilise à main levée.

Régis : L’autre jour, j’ai fait une petite séance photo et on m’a prêté un 150-600mm de chez Sigma. Je n’étais pas du tout à l’aise parce que c’était très lourd, je ne retrouvais pas mes sensations d’équilibre, de liberté de mouvement que je peux avoir avec mon 300mm.

Il faut trouver le bon équilibre entre la liberté de mouvement et la stabilité. Ce n’est pas facile à faire. Il faut tester. Encore une fois, c’est souvent la vérité du terrain qui détermine notre pratique. Il faut tester les choses.

Lorraine : Exactement. Ça s’acquiert avec le temps. Il m’a bien fallu 6 mois avant de domestiquer mon 500. Quand je reste trop longtemps sans pratiquer et sans le prendre, quand je le reprends, je me dis «  hou là, quelle horreur ! » Il me faut quelques heures pour être de nouveau efficace avec.

Régis : Oui, c’est vrai. Il faut pratiquer. C’est comme plein de choses, comme la musique, comme le sport, il faut pratiquer et ne pas s’arrêter. On va maintenant aborder ce qui va peut-être plus nous intéresser, à savoir ta pratique photo sur la macro et sur les petites bêtes.

Tu as sorti un livre il y a un peu près un an, c’était en septembre 2015, qui s’appelle Le kama-sutra des petites bêtes. Tu as créé une maison d’édition pour pouvoir sortir tes livres. Ma première question : comment t’est venue cette idée, elle n’est pas saugrenue mais elle est quand même originale, de photographier les petites bêtes du jardin sous l’angle de leur sexualité ? Qu’est-ce qui t’est passé par la tête ?

Lorraine : Les petites bêtes je les photographie sous tous les angles. Mais depuis des années de pratique, 20-25 ans, je ne sais plus trop, je me suis rendu compte que dans ma banque d’images j’avais plein de photos d’accouplements.

Pour une très bonne raison, c’est souvent quand on va se promener qu’on croise des papillons, des criquets, plein d’autres bestioles qui copulent. Je me suis dit « qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire avec ça ? » Il y a à peu près 5-6 ans, m’est venue l’idée de faire le livre et de faire le kama-sutra des petites bêtes. Je profite de l’interview pour m’excuser auprès de Marc Giraud qui avait fait Le kama-sutra des demoiselles.

Mais je dois avouer que j’avais trouvé ce titre qui me plaisait beaucoup avant de découvrir le super bouquin de Marc. Comme j’avais vraiment tourné ce que je voulais dire, ma banque d’images autour de cette thématique, j’ai gardé le titre. Donc on a deux livres qui ont un titre assez proche. Maintenant il y a plein de kama-sutras humains.

Régis : Le modèle n’est pas déposé.

Lorraine : Exactement. Le kama-sutra, il y en a plein et j’en ai profité. J’avais beaucoup de photos d’accouplements. Après, le gros travail a été de trouvé un chapitrage pour que ce ne soit pas juste un bête album photo entre guillemets, où on tournerait les pages et on verrait une succession d’accouplements.

L’idée c’était de trouver un chapitrage, de donner du dynamisme pour qu’on ait un livre intéressant, rigolo à la fois et qui puisse plaire à beaucoup.

Régis : J’insiste vraiment sur ce que tu dis par rapport à comment tu as trouvé l’idée. L’idée t’est venue par rapport au nombre de photos que tu avais.

Tu ne t’es pas dit un jour « je vais traiter les petites bêtes sur leur sexualité », ce n’est pas comme ça que ça t’est venu, ce n’est pas une idée qui est venue de nulle part, c’est parce que tu avais déjà plein de photos, quand les regardant ça a mûri lentement au contact de tes propres photos. C’est comme ça que ça s’est passé ?

Lorraine : Tout à fait. Ça m’a donné un fil conducteur pour partir sur cette thématique. J’en suis à mon 6e livre avec la sortie de celui-là. J’avais créé une collection que j’appelle Clin d’œil nature dont celui-ci est le 2e tome.

Pour le côté clin d’œil nature, je trouvais que c’était marrant. Je sais toucher les photographes, je sais toucher les naturalistes. Je voulais essayer de toucher d’autres personnes qui soient ni photographes ni naturalistes en plus.

Je me suis dit qu’avec cette petite thématique rigolote et sexuelle entre guillemets, parce que c’est le nerf de la guerre il ne faut pas se leurrer, on a tous besoin de ça pour la pérennité de l’espèce

Régis : Et de toutes les espèces !

Lorraine : Et de toutes les espèces, faune comme flore, comme humains.

Régis : Une petite parenthèse, j’écoute pas mal d’émissions sur Internet, des podcasts sur France Inter, leurs émissions scientifiques naturalistes sont vraiment géniales, notamment Les petits bateaux le dimanche soir sur France Inter. Il y a plein de questions qui sont posées par des enfants.

Là c’est une grosse digression, on n’est plus dans la photo mais peu importe. Une question avait été posée par une petite fille ou un petit garçon, je ne me rappelle plus, c’était en gros : pourquoi on meurt ? pourquoi toutes les espèces sont vouées à mourir ?

La réponse du philosophe, je crois, c’était un philosophe et même pas un scientifique, c’était de dire « une fois qu’on s’est accouplé, une fois qu’on a fait le travail de pérennisation de l’espèce, finalement il n’y a plus rien à faire, au bout d’un moment ce qu’il reste à faire, c’est mourir ».

Le travail de toutes les espèces, de tous les individus, c’est de s’accoupler et de faire des petits. Une fois que c’est fait, le job a été fait, on peut passer à la suite.

Lorraine : Tout à fait. C’est peut-être pour ça que je n’ai pas d’enfant. Je n’ai pas envie de mourir.

Régis : C’était un point de vue intéressant. J’ai trouvé cette explication pas naturelle, pas biologique mais philosophique. C’était plutôt intéressant comme point de vue. Comme tu l’as dit, c’est le nerf de la guerre. La reproduction quelle qu’elle soit c’est le nerf de la guerre.

Avec les mammifères et les oiseaux, capter une attitude sympa et originale sur la photo, sur le capteur demande de bien connaitre en amont son sujet pour, par exemple, savoir anticiper ses mouvements. En gros, je sais que tel animal a ce comportement-là précisément parce qu’il va s’apprêter à s’envoler, donc je m’apprête à photographier.

Est-ce que chez les insectes on a les mêmes contraintes de connaissances de l’espèce pour pouvoir anticiper tel ou tel mouvement, c’est peut-être plus lent ? Est-ce qu’on se doit de connaitre par cœur l’animal ?

Lorraine : Je trouve que c’est moins contraignant en ce qui concerne la connaissance ou plus exactement elle s’acquiert plus facilement avec le temps.

Ce qui est difficile, surtout lorsqu’on est sur des insectes volatiles, c’est-à-dire qui s’envolent facilement type papillon ou libellule, une fois qu’on est proche, sauf si on fait vraiment un grand mouvement qui va les faire s’enfuir, on peut facilement bouger, tourner autour délicatement, du coup on va avoir plus d’intimité et de proximité avec le sujet.

C’est là la différence. On peut prendre plus le temps pour l’observer, alors que sur pas mal d’oiseaux et de mammifères, on observe mais un petit moment d’une scène et ensuite le reste s’éloigne, l’animal s’éloigne.

C’est peut-être ça la différence. Après, plus on a de connaissances, plus on va trouver facilement les sujets pour pouvoir les photographier. Ça c’est valable aussi bien en animalier pur qu’en macro.

Régis : Bien sûr. J’ai une photo en tête, on appelle ça les gendarmes, c’est une espèce de punaise. Est-ce que tu t’es vraiment documentée avant pour savoir quand se passait leur période d’accouplement ? Est-ce qu’il y a en amont un travail de recherche naturaliste ?

Lorraine : C’est presque plus en aval que j’ai ma recherche naturaliste. C’est-à-dire que je pars, je trouve forcément des sujets, je les observe, je les photographie, après je me pose la question « combien de temps ça aurait pu durer » parce qu’en règle générale chez les insectes les actions sont beaucoup plus longues.

Sur les gendarmes justement, j’ai lu par la suite, après avoir observé longtemps des couples de gendarmes et avoir fini par capituler, que quelqu’un avait eu plus de patience que moi, il avait suivi le temps d’accouplement, ça pouvait durer jusqu’à 3 jours le même couple accouplé.

Personnellement j’ai observé les martins-pêcheurs au moment du coït, j’avais été outrée par le mâle qui était arrivé sur la femelle, qui avait à la limite rebondi sur la femelle pour repartir aussi sec.

Ça m’avait un petit peu énervée parce qu’en plus c’était au moment de l’argentique, j’étais dans des conditions superbes sur une lumière magnifique, sur une petite branche couverte de lichen qui avait les premiers rayons du soleil.

J’ai entendu le sifflet du mâle qui arrivait, il mes restait 3 photos dans ma pellicule, je me suis dit « qu’est-ce que je fais, je rembobine et je suis prête avec une nouvelle pellicule de 36 poses ou je ne fais que 3 photos de la scène », j’avais pris la première option de rembobiner, et je n’ai pas eu le temps.

Le martin est arrivé, a sauté sur sa femelle, il n’est pas resté à côté pour lui dire « coucou », il n’y a eu ni préliminaires, ni suite. Du coup ça a été très frustrant pour moi et peut-être aussi pour madame martin-pêcheur.

Régis : C’est bien possible.

Lorraine : Dans les insectes, souvent ça dure, ça dure, ça dure.

Régis : Il y a vraiment des pratiques sexuelles très différentes d’espèces à d’autres espèces. C’est vraiment fou. Tu as commencé à le faire avec ton livre, mais il y aurait de quoi écrire une encyclopédie là-dessus.

C’est fou la diversité de la nature. Malgré le côté humoristique du livre, les infos naturalistes sont sérieuses et les photos aussi, donc doivent apporter des informations naturalistes. J’ai noté que tes sujets étaient bien nets sur une grande partie de leur corps, alors que souvent sur la macro la profondeur de champ est vraiment très faible.

Là c’est un peu plus grand chez toi. Première question : est-ce que c’est volontaire pour toi d’avoir une grande zone de netteté sur l’insecte ? Si oui, comment tu réussis à faire ça ?

Lorraine : Oui, la zone de netteté sur l’insecte pour moi est importante, justement pour montrer les détails. J’ai l’avant-dernier chapitre qui s’appelle L’instant X avec un sous-chapitre qui s’appelle

Sans tabou, on dévoile tout. Pour avoir le droit de siéger dans ce chapitre-là, il fallait impérativement que je puisse voir clairement sur l’image l’appendice sexuel du couple, voire les deux appendices sexuels attachés. C’était pour chapitrer le livre.

Cette netteté parfaite, malgré le fait de travailler sur des sujets de 5 mm ou 1 cm maximum, était un peu compliquée. Je travaille bien sûr en fonction de la taille de mon insecte. Je vais choisir la profondeur de champ dont je vais avoir besoin de manière assez précise, mais surtout et avant tout c’est plus dans la recherche du plan par lequel je vais aborder mon couple que je travaille.

C’est-à-dire que même avec une faible profondeur de champ de quelques millimètres, surtout par exemple sur un papillon, il est très facile de comprendre cette histoire de plan. Si on aborde un papillon par le dessus, on a besoin d’une très grosse profondeur de champ pour avoir une grosse partie de l’aile de nette.

Alors que si on l’aborde sur le plan de son aile, même en 2,8 au niveau de la fermeture du diaphragme, donc une grosse ouverture du diaphragme,  on va pouvoir avoir l’intégralité de son aile et de son appareil reproducteur de net.

J’ai fait une petite recherche sur l’ensemble des photos du livre, sur les 120 images environ, j’ai une assez grosse majorité de mes photos qui ont été faites à 5,6 au niveau de la fermeture de diaphragme.

Régis : Alors que tu peux fermer à 2,8 au niveau de ton objectif ?

Lorraine : Tout à fait. Les plus grosses fermetures étaient à 2,8. J’oscille entre 2,8 et 11 en fonction de la taille de mes sujets et la distance de mon arrière-plan. Donc c’est très variable. Cette fermeture de diaphragme est sujet au sujet, c’est le cas de le dire.

Régis : C’est super intéressant. Ce que tu sais à l’avance dans ta tête, c’est que tu veux avoir telle partie de nette sur l’insecte. En fonction de ça, tu vas te déplacer pour avoir le plan de manière à avoir la zone de netteté qui va t’intéresser sur la photo.

Tu peux être effectivement à 2,8 si tu choisis bien le plan sur le bon côté de l’insecte ?

Lorraine : Tout à fait. On peut avoir quasiment tout de net même à 2,8 selon la distance où on est. Je dirais plus loin, bien entendu on a tous en tête ce côté-là, pour faire ressortir sur la photo l’insecte ou ce qu’on veut montrer, le choix de la profondeur va dépendre énormément de la distance entre mon sujet et le début de l’arrière-plan, voire de l’avant-plan.

Ça, c’est aussi très important. C’est-à-dire que pour faire ressortir il n’y a pas que la netteté. Si on veut faire ressortir un détail, l’appareil génital en l’occurrence pour ma thématique du kama-sutra, il y a à la fois la précision de la netteté et de la map sur mon sujet et à la fois l’arrière-plan et sa distance qui va me permettre d’augmenter ou de diminuer ma profondeur de champ.

Régis : Mais souvent les petites bêtes se retrouvent dans les herbes, dans la végétation assez dense. Est-ce que ce n’est pas compliqué justement, parce que l’arrière-plan est assez présent, il est assez proche ? Est-ce que ce n’est pas compliqué ce fond flou dont tu parles ?

Lorraine : Ça m’est arrivé de peigner avec les doigts les herbes de l’arrière-plan pour que toutes les herbes aillent dans le même sens et pour que mon fond soit marqué mais pas trop. Je vais des fois dans ces détails-là pour peaufiner, surtout quand ils sont bien occupés et que je peux tourner plus facilement autour.

Si, bien sûr qu’ils sont dans les brins d’herbe. C’est ce qui fait que même avec des milliers et des milliers de conseils, de milliers d’heures de lecture sur ton blog ou sur les magazines spécialisés, l’expérience de terrain fait qu’on va aller plus vite à l’image qu’on a en tête. On va déjà avoir l’image en tête en voyant le sujet pour pouvoir être efficace.

Régis : Est-ce que le vent c’est ton ennemi n° 1 ?

Lorraine : Non. C’est le soleil. Le soleil c’est mon ennemi n° 1. J’ai trouvé des solutions pour pallier au vent. Le vent, surtout dans le sud, il fonctionne en rafales, il y a toujours des moments où ça s’arrête.

Sauf les brins d’herbe où c’est compliqué mais beaucoup de plantes sur lesquelles se posent les insectes ont un rebond assez efficace. C’est-à-dire que la rafale de vent va les faire bouger dans tous les sens, ce n’est même pas la peine d’essayer de faire de la photo, mais il y a un moment où ça se stabilise.

Comme j’ai une bonne position où je me stabilise et que j’attends, c’est à ce moment-là que je shoote. Là mon sujet est parfaitement net, est parfaitement stable.

Régis : C’est intéressant parce que tu ne vas pas chercher à suivre l’insecte qui bouge sur sa plante parce que c’est peine perdue. Mais tu vas attendre tranquillement que ça se stabilise et une fois que ce sera dans le plan que tu as prédéterminé, tu ne bouges plus et là tu peux prendre la photo.

Lorraine : Oui, ça m’arrive d’attendre 4-5 minutes, parfaitement stable, assise au milieu de ma prairie, les coudes sur les genoux, dans la position que j’ai choisie, où je vois bien que toutes les fractions de seconde ma plante elle sort du cadre mais dès que le vent s’arrêtera, elle sera là, elle sera présente et je serai sur le bon plan pour photographier avec l’arrière-plan que j’ai cherché.

Régis : Bien sûr. Tu parlais du soleil qui t’embête beaucoup. C’est la lumière dure qui t’embête ?

Lorraine : Oui.

Régis : C’est ça ?

Lorraine : Bien sûr. Avec la lumière dure, quand je fais de la botanique ça ne me dérange pas parce que je vais plonger mon sujet dans l’ombre pour ensuite recréer ma lumière plus douce, même à 2h de l’après-midi, si je n’ai pas le choix dans un voyage organisé ou autre, même si je n’en fais pas beaucoup.

Je sais que j’ai des solutions sur la botanique pour faire des photos sympas, malgré un ciel et un soleil de plomb à 2h de l’après-midi. Par contre, sur les petites bêtes, en général elles n’aiment pas qu’on leur fasse de l’ombre en pleine journée. Là, ça devient plus difficile.

Régis : Ça peut les faire fuir. C’est-à-dire que l’ombre qui apparait d’un coup, d’ailleurs c’est un truc que les macroteux connaissent pas mal, si on tourne autour du sujet et qu’on fait de l’ombre, c’est la principale raison de fuite.

Lorraine : On peut faire autant de bruit qu‘on veut, ce n’est pas comme avec les blaireaux ou les renards, on peut crier. C’est pour ça d’ailleurs que tous mes stages je les fais autour de la macro.

Quand on me pose une question, je peux y répondre largement, même à 2 cm de mon sujet sans avoir peur de le faire fuir. Ils n’ont absolument pas de réaction au niveau de l’ouïe. Par contre le moindre mouvement ou une ombre qui les touche, ça décolle en une fraction de seconde.

Régis : La transition est parfaite, Lorraine. C’est comme si ça avait été bossé à l’avance. J’aimerais à présent qu’on parle de tes stages photo nature. Tu n’es évidemment pas la seule photographe à proposer ce type de stage-là.

Par contre, tu fais quelque chose, il me semble que tu es la seule à faire. Tu me diras si je me trompe, il y en a peut-être d’autres qui le font. Tu te déplaces dans différents coins de France. Tu vas vers les stagiaires plutôt que l’inverse. Ce n’est pas le stagiaire qui va venir, par exemple, dans la

Bresse ou dans les Alpes ou en Bretagne pour aller voir le formateur, mais c’est toi qui te déplaces dans les différents coins de France. Est-ce que ça marche bien ? Est-ce que c’est une bonne méthode ?

Lorraine : Le fait que je sois la seule à le faire, ça je ne sais pas. Ayant interviewé plein d’autres photographes, je suis contente de n’avoir pas trop de monde sur ce créneau entre guillemets. Je n’ai pas de nom de collègue qui ferait la même chose à se promener partout.

Je dirais que c’est un peu comme ce dont on a parlé au départ, à savoir que je n’ai pas de sujet favori,  de sujet type, une case dans laquelle on peut me mettre. Pour le territoire français, c’est un peu pareil. On a la chance d’avoir un pays très riche, très varié avec des biotopes super différents qui nous amènent des espèces différentes également. J’adore cette diversité dans ma pratique.

Après, lorsque tu dis que c’est moi qui vais aux stagiaires et pas forcément les stagiaires qui viennent à moi, ce n’est pas forcément la réalité. Parce que le fait de proposer des stages à x coins, depuis les Vosges jusqu’au Var en traversant la France d’un bout à l’autre, c’est aussi que j’ai beaucoup de stagiaires qui reviennent.

C’est-à-dire que ça leur permet de continuer à évoluer et à avancer dans leur pratique photographique tout en changeant de lieu, changeant de sujet sans changer de formateur. Ça m’arrange bien.

Mon record il est de 13 stages. J’ai un stagiaire qui est venu 13 fois en stage avec moi. J’aurais été enseignante en maternelle, je m’inquiéterais beaucoup. Là comme c’est sur du volontariat, ça va.

Régis : 13 fois, c’est beaucoup effectivement.

Lorraine : Mais j’en ai pas mal qui viennent 4-5 fois, qui reviennent d’une année sur l’autre en me disant « j’ai fait l’Aveyron, cette fois je viens faire les papillons des Hautes-Alpes à Embrun ». C’est aussi les vacances.

Régis : D’accord. La démarche est super. Ça fait aussi des vacances pour ceux qui viennent avec toi faire des stages. Par contre, j’ai une question, c’est par rapport au repérage. C’est-à-dire on le sait tous, tu l’as même dit tout à l’heure en début d’interview, c’est long de repérer un spot photo, de savoir ce qu’il s’y passe, ça prend du temps.

Comment tu fais pour être efficace et savoir quoi montrer à tes stagiaires en changeant souvent d’endroits ?

Lorraine : C’est sûr que ça complique la donne. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? J’ai tendance un peu à me compliquer la vie en fonctionnant comme ça. Mais c’est pour mon plaisir et le plaisir de mes stagiaires, donc je suis prête à le faire.

J’ai beaucoup de lieux, ce sont des endroits que je visite annuellement ou tous les 2 ans depuis des années et des années. Ça fait 9 ans maintenant que je propose les stages de cette manière-là. Ça a été vraiment mon premier leitmotiv quand je me suis installée.

Avant d’être photographe professionnelle, j’étais formatrice pour adultes où je formais sur le BTS de gestion et protection de la nature dans un centre de formation pour adultes. J’avais ce côté pédagogique, un peu comme toi, que j’ai voulu reprendre pour transmettre cette passion que j’ai de la nature et de la photo. Je me suis en peu perdue.

Régis : C’est ça de partir partout en France, on finit par s’y perdre.

Lorraine : Exactement. Ça fait 10 ans et plus que je me promène, que je pratique, que je vais dans ces endroits. Du coup je les connais pas mal.

Régis : A force effectivement.

Lorraine : Pour le repérage, j’y vais une ou 2 journées en avance, avant l’arrivée de mes stagiaires, ça dépend de l’emploi du temps et de la possibilité du planning. Je retourne vérifier mes stations, qu’il n’y ait pas eu un bouleversement, un champ retourné par un agriculteur, que les petites bêtes soient bien là.

J’ai aussi l’altitude qui me permet aussi de me décaler lorsque je sais qu’une année va être plus précoce ou plus tardive par exemple. Cette année, sur le deuxième stage que je fais au niveau des orchidées de l’Aveyron, ça fait déjà 2 mois avec mon mari qu’on sait que ça va être plus difficile cette année que les autres années parce qu’il y a presque 15 jours d’avance sur la végétation.

Je sais que quand la végétation est en avance, mes petits sujets ils vont aussi être en avance, ils suivent un petit peu les plantes et la météo. Grâce à cette connaissance des lieux, même loin de la zone j’ai déjà un petit peu d’idée de ce que je vais devoir faire pour trouver suffisamment de sujets pour les stagiaires.

Régis : C’est super intéressant comme démarche. Est-ce que c’est ouvert à tout le monde, aux débutants, aux grands débutants, à ceux qui savent déjà faire de la photo, à ceux qui ne savent pas du tout en faire ?

Il faut avoir des connaissances naturalistes ? Qui peut y aller et comment tu gères la diversité entre les différentes personnes qui viennent, qui n’ont pas forcément tous le même niveau ?

Lorraine : Oui, c’est ouvert à tous. Au petit amateur avec un compact qui ne sait pas s’en servir et au très bon pratiquant averti, qui fait de la photo animalière en affût ou autre. Ça m’est déjà arrivé sur un stage de 8 d’avoir justement ces 2 profils extrêmement différents dans le même stage. Je sais que je peux gérer.

L’idée, c’est que j’individualise au maximum sur le terrain. On passe beaucoup de temps à la prise de vue. Je passe d’un stagiaire à l’autre. En fonction de son matériel, de son niveau, du sujet qu’il a sous la main et qu’il est en train de travailler, on en discute.

Ça me permet d’individualiser énormément mon discours en fonction du niveau de chacun. Jusqu’à 13 ans, d’après les dires de mes stagiaires, je n’ai noyé personne et ennuyé personne.

Ça m’est arrivé par exemple d’avoir quelqu’un qui était très expérimenté, qui connaissait son boitier sur le bout des doigts, voire bien mieux que moi au niveau des fiches techniques matériel qu’il connaissait vraiment par cœur.

Il venait plutôt chercher l’expérience de terrain, comment trouver les sujets, comment se comporter avec eux. Sur ça, il était un petit plus en retrait entre guillemets. Il y a toujours des choses à apprendre.

Ça fait 25 ans que je pratique assidument la photo naturaliste et j’en apprends encore aujourd’hui. Je sais que ces 25 ans d’expérience je peux les retransmettre plus ou moins quel que soit le niveau de la personne.

Régis : Bien sûr. Pour les 3-4 mois qui viennent, on est en mai, pour mai-juin-juillet-août, pour les quelques mois d’été qui viennent, où peut-on te retrouver et faire un stage avec toi parce que je sais, je serais auditeur, ça me brancherait beaucoup ? Où ça se trouve et comment peut-on faire ?

Lorraine : J’ai tous les stages qui sont présentés sur le site Internet, je pense que tu mettras le lien.

Régis : Oui.

Lorraine : C’est varié comme on l’a dit. C’est-à-dire que les stages de mai j’en ai un qui est complet, il me reste des places encore mais très prochainement le 14 et 15. Là c’est tout près de chez moi en l’occurrence, c’est sur les libellules de l’Isle-Crémieu au nord Isère, on va spécifiquement aller photographier les libellules.

Evidemment on ne se fait taper si on photographie un papillon. Après, je vais dans les Hautes-Alpes près de Guillestre pour justement les papillons. Ça sera au mois de juillet après le festival de Sceaux pour ceux qui suivent les actualités festivalières.

Sinon j’ai en Ile-de-France en juillet du côté de Sénart, les Vosges, les bords de Loire du côté d’Orléans.

Régis : Il y en a pour tous les goûts. Encore une fois comme tu l’as dit, ça peut être pratique pour ceux qui n’ont pas envie de faire trop de kilomètres et en même temps ceux qui sont prêts à te suivre, ça leur permet de découvrir d’autres endroits sous un cadre très structuré, très encadré et pour ne pas perdre son temps une fois sur place.

C’est vraiment génial. Pour trouver toutes les informations, on peut aller sur ton site Internet, il y a tout d’indiqué évidemment. Lorraine, un petit dernier conseil pour la route peut-être ?

Lorraine : Je serais assez tentée de dire à tes auditeurs que, quel que soit son niveau, ce qu’il faut c’est trouver des sujets simples, accessibles, de prendre le temps pour les photographier. Ça c’est plus facile en macro qu’en animalier. De toute façon il faut prendre le temps. Vous aurez de superbes images. C’est la ténacité qui marche.

Régis : Exactement. Merci beaucoup Lorraine.

Lorraine : Avec grand plaisir. Merci à toi.